Investigations

Rapport Poutine et la guerre de Boris Nemtsov. Chapitre 1

Un rapport d’experts indépendants
«Aujourd’hui l’objectif de l’opposition est la vérité et l’édification. Et la vérité est que Poutine c’est la guerre et la crise ».

Boris Nemtsov, note sur Facebook du 31 janvier, 2015

Rapport d’experts indépendants

Edition : mai 2015. Moscou.

Rédacteurs :
Ilya Yashin, Olga Chorina

Concepteur-rédacteur :
Olga Osipova.

Conception de la couverture, de la préparation de la version web :
Pavel Elizarov.

Photo de couverture :
Petr Chelomovski.

Ce rapport n’est pas un produit des médias. Les photos publiées dans le rapport sont conformes à la législation [russe] actuelle sur la propriété intellectuelle.
E-mail : doklad.voina@gmail.com

La traduction française a été réalisée grâce à une coopération des associations « Ukraine Action », « InformNapalm France », «Groupe de résistance aux répressions en Russie », « Russie Libertés » et des traducteurs indépendants, avec l’accord d’Ilya Yashin. Les personnes qui ont participé à ce travail sont, par ordre alphabétique :

Krystyna Biletska
Stéphane B.
Anastasiya Chepova
Alexandre Clément
Anne C.
Elena Colombo
Liudmyla Dolia
Marc de la Fouchardière
Anna Garmash
Irène K.
Viktoria Mait
Anne O.
Axel Oursivi
Anne Rio
Igor Reshetnyak
Lidia Shevchenko
Oksana Yurchyshyna

Les notes originales du rapport sont numérotées en rouge de 1 à 155 et sont placées à la fin du document, comme dans l’original. Les notes en bas de page ont été ajoutées par les traducteurs afin de faciliter la compréhension du document par un public non russophone.

Le rapport est téléchargeable sous format PDF ici: https://goo.gl/QFfHBd

Tables des matières:

Avant-propos

Chapitre 1. Pourquoi Poutine a besoin de cette guerre

Chapitre 2. Mensonges et propagande

Chapitre 3. L’annexion de la Crimée

Chapitre 4. Des soldats russes à l’est de l’Ukraine

Chapitre 5. Volontaires ou mercenaires ?

Chapitre 6. Grouz-200

Chapitre 7. Le surplus militaire de Poutine

Chapitre 8. Qui a abattu le Boeing ?

Chapitre 9. Qui contrôle le Donbass ?

Chapitre 10. La catastrophe humanitaire

Chapitre 11. Le coût de la guerre en Ukraine

Conclusion

                                                                      Avant-propos

L’idée de ce rapport revient à Boris Nemtsov. Un jour, entrant dans le QG du parti, il annonça à voix haute : « Je sais ce qu’il faut faire, rédiger un rapport « Poutine, et la guerre », le tirer en beaucoup d’exemplaires et le distribuer dans les rues. On va raconter comment Vladimir Poutine a déclenché cette guerre. C’est comme ça qu’on va vaincre sa propagande ». Il nous regardait tous en triomphant, comme il le faisait à chaque fois qu’il avait une bonne idée. « Qu’est-ce que tu en penses, Chorina[1]? Elle te plaît, cette idée ? », dit-il passant son bras sur ses épaules.

Dès le début 2015, Boris a commencé à rassembler des informations dans ce but. Il travaillait beaucoup avec des données publiques, trouvait des gens qui pouvaient lui en fournir. Il était persuadé qu’essayer d’arrêter la guerre, là était le vrai patriotisme, et que la guerre avec l’Ukraine était un crime lâche et cynique, que notre pays payait avec le sang de ses citoyens, en plus d’une crise économique et d’un isolement politique.

Personne en Russie, à part Vladimir Poutine et son entourage, n’avait besoin de cette guerre. Boris n’a pas eu le temps de rédiger le texte de son rapport. Il a été assassiné le 27 février sur le Grand pont Moskvoretski, sous les murs du Kremlin. Ses collègues, ses amis et les personnes qui considéraient cette initiative importante se sont promis de mener à bien cette tâche. Ce rapport est basé sur les informations que Boris a réunies et sélectionnées. Le plan de son rapport, ses notes manuscrites, les documents, tout ce qu’il a laissé, a été utilisé pour rédiger ce rapport.

Notre objectif est de dire la vérité sur l’ingérence du Kremlin dans la politique ukrainienne, une ingérence qui a provoqué la guerre entre nos deux peuples, cette guerre que nous devons stopper sans attendre.

[1] Olga Chorina, directrice exécutive du parti RPR-Parnas, dont Boris Nemtsov était l’un des co-dirigeants. Ce parti a été créé en 1990 et est l’un des partis russes ayant la plus longue histoire, ndt

Chapitre 1. Pourquoi Poutine a besoin de cette guerre
Depuis l’automne 2011, la cote de popularité de Vladimir Poutine commençait à baisser sensiblement. À la veille de l’élection présidentielle de 2012, il semblait peu probable qu’il l’emporte dès le premier tour. Ce scénario créait un risque significatif d’affaiblissement de l’image de V. Poutine et aurait mis fin à sa légitimité. Diriger le pays dans son style autoritaire habituel de « leader national » serait devenu plus difficile.

La campagne électorale a donc nécessité la mobilisation maximale des moyens du pouvoir afin d’assurer la victoire de V. Poutine dès le premier tour. Ainsi, l’exclusion de ses vrais adversaires, prêts à une sérieuse lutte pour la présidence et le contrôle administratif total des principaux médias, est devenue l’arme principale de sa victoire. Les élections de 2012 n’ont pas échappé aux manipulations directes tel le bourrage des urnes, la falsification des résultats, la réécriture des procès-verbaux et autres « manèges » tactiques.

Suite aux résultats du scrutin, dès son retour à la présidence, M. Poutine a pris un certain nombre de décisions populistes dans l’espoir de consolider sa cote de popularité. En particulier, en 2012, il a signé les soi-disant décrets de mai que certains experts ont jugé dépensiers et économiquement infondés1. Toutefois, même ce genre de populisme n’a pas inversé la tendance : la cote de popularité du chef de l’État a baissé après les élections. En outre, les décrets de mai sont restés lettre morte et, un an plus tard, V. Poutine a publiquement critiqué son gouvernement pour l’utilisation inefficace des fonds destinés à leur mise en œuvre2.

À l’approche de l’été 2013, il est devenu évident que les techniques traditionnelles assurant la popularité de V. Poutine au cours des dernières années ne pouvaient pas gonfler sa cote de popularité au-dessus de 40-45%. Apparemment, le Kremlin a été réellement préoccupé par la tendance négative et a commencé à élaborer des moyens fondamentalement nouveaux afin de renforcer la position de V. Poutine pour les futures élections.

Le Kremlin a entamé un travail de fond sur de nouvelles méthodes pour renforcer l’assise électorale de Poutine. Le scénario du « retour de la Crimée à la Russie » a, sans doute, été planifié et soigneusement préparé à l’avance par les autorités de la Fédération de Russie. Aujourd’hui l’envergure de la préparation de cette opération devient évidente. Avant l’invasion de la Crimée, les services spéciaux russes ont recruté des généraux et des officiers de l’armée ukrainienne et des dirigeants et des agents des forces de l’ordre, qui, au moment crucial, ont renié leur serment et ont choisi le camp de la Fédération de Russie. Les politiciens-séparatistes et les médias locaux ont activement soutenu les actions de la Russie, financées par Moscou. Le monde des affaires de la Crimée, ayant obtenu des prêts favorables défiant toute concurrence auprès des banques russes, a également fait preuve d’allégeance intéressée. En outre, des efforts à long terme ont été entrepris afin d’affaiblir l’économie et le système politique ukrainiens dans leur ensemble. Les « conflits gaziers » et l’embargo sur les produits alimentaires ont perduré. Une pression manifeste sur les autorités ukrainiennes a été exercée afin d’obliger l’Ukraine à participer à toutes sortes de projets « d’intégration » imaginés par le Kremlin et limitant la souveraineté des anciennes républiques soviétiques.

La révolution à Kiev et la fuite du pays du président Viktor Ianoukovytch, au début de l’année 2014, ont pour un certain temps affaibli l’État ukrainien et ont créé des conditions idéales pour l’action décisive de la conquête de la Crimée par le Kremlin. Le référendum, qui est devenu la justification officielle du rattachement de la Crimée au sein de la Fédération de Russie, a été organisé sur la péninsule avec le soutien des troupes russes et des services spéciaux (ce que V. Poutine lui-même a reconnu publiquement un an plus tard3).

Cote de popularité de Vladimir Poutine auprès des électeurs, avant et après le déclenchement de la guerre avec l’Ukraine

Sondage de FOMnibus réalisé les 14 et 15 mars 2015 : 204 localités, 64 sujets de la Fédération de Russie, 3000 participants.

Le rattachement de la Crimée à la Russie, activement soutenu par la propagande, a permis à Poutine de renforcer considérablement sa propre légitimité. Sa cote de popularité a atteint un record4.

Cependant, il ne s’est pas arrêté à la Crimée et peu après, une vraie guerre a commencé sur les territoires des régions ukrainiennes de Donetsk et de Louhansk. Après les événements de Crimée, les séparatistes exigeant la sortie de l’Ukraine des territoires qu’ils contrôlaient et leur rattachement à la Fédération de Russie, se sont opposés aux forces armées ukrainiennes. Comme l’indiquent les données du rapport, les autorités russes ont activement fourni aux séparatistes un soutien politique, militaire, économique et un engagement militaire direct. Les raisons qui ont poussé Poutine à déclencher le conflit armé sur le territoire d’un État voisin, laissent la place à deux interprétations possibles de ses actions.

Cependant, il ne s’est pas arrêté à la Crimée et peu après, une vraie guerre a commencé sur les territoires des régions ukrainiennes de Donetsk et de Louhansk.

La première interprétation est que le succès obtenu en Crimée a convaincu le président de la Fédération de Russie que les régions russophones de l’Ukraine étaient prêtes à faire partie de l’État russe. En fait, il s’agissait de « rassembler des terres russes » et cette tâche a séduit Poutine par son envergure à l’échelle de l’Histoire, malgré son coût prévisible. Pour justifier les prétentions de la Russie sur ces terres, des séparatistes locaux ont été mis à contribution, soutenus par des combattants arrivés dans le Donbass, en même temps que des stratèges issus de l’école Polytechnique de Moscou et d’autres villes russes. Cependant, ces efforts n’ont eu d’effet que localement, à l’exception de certains districts des régions de Donetsk et de Louhansk. Les autres régions russophones du pays, après quelques effervescences, ont confirmé leur intention de rester partie intégrante de l’Ukraine. D’une part, cette situation a incité Poutine à rechercher une solution politique de sortie de crise, malgré une évidente supériorité militaire. D’autre part, elle a grandement contribué aux pourparlers de paix avec le nouveau gouvernement ukrainien.

La modification de la situation politique internationale pourrait très bien conduire Poutine sur le banc de la Cour pénale internationale.

La seconde interprétation est que Poutine a compris dès le début que l’idée de la mise en place d’un État dans la région du Donbass, en vue de son adhésion à la Fédération de Russie, avait plus d’adeptes parmi les citoyens de la Russie que de l’Ukraine. À cet égard il a provoqué ce conflit militaire afin de se créer une position favorable pour la négociation avec les pays occidentaux. Le cessez-le-feu dans le Donbass, que le Kremlin est en mesure de garantir, peut devenir un motif de levée des sanctions économiques et politiques qui sont devenues inévitables à l’encontre de la Russie après son annexion de la Crimée. En outre, si ce scénario se réalise, la question de la légalité du rattachement de la péninsule de Crimée à la Fédération de Russie disparaît d’elle-même et les pays occidentaux reconnaîtront la Crimée comme partie intégrante du territoire russe, soit formellement, soit de fait.

Quoi qu’il en soit, le conflit russo-ukrainien est loin d’être terminé. Tout en renforçant sa crédibilité politique dans son pays, Poutine court un risque considérable.

Tout d’abord, les autorités russes doivent continuer de soutenir les séparatistes dans le Donbass malgré des coûts politiques et économiques croissants. Le refus d’un tel soutien pourrait être perçu comme une trahison par certains des partisans actuels de Poutine (y compris ceux qui ont acquis une expérience de combat dans l’est de l’Ukraine) et pourrait déclencher une vague de mécontentement à l’égard du président en Russie même.

Ensuite, la poursuite de la confrontation avec l’Occident, l’isolement et les sanctions peuvent causer des dommages importants à l’économie russe. Cela crée un risque de protestations sociales qui pourraient miner à nouveau la cote de popularité du chef de l’État russe.

Enfin, l’affaiblissement des positions de Poutine sur la scène internationale et l’escalade du conflit russo-ukrainien représentent un risque véritable de poursuites pénales à l’encontre de l’actuel président de la Russie. La modification de la situation politique internationale pourrait très bien conduire Poutine à une accusation formelle pour crimes de guerre et le mener sur le banc de la Cour pénale internationale.

Lili des Cévennes pour EMPR en français

Lili des Cévennes

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